Pourquoi vos salariées craquent (en silence)… et vos leviers d'action
- carolinebanach
- 2 avr.
- 4 min de lecture
Le calme apparent, ou l’illusion du « tout va bien »
« Elle n’a rien dit, donc j’imagine que ça va. »
En tant que dirigeant·e de SAAD, vous l’avez sans doute pensé, ou entendu.Mais dans le secteur de l’aide à domicile, le silence est rarement synonyme de bien-être.
Chaque année, des centaines de professionnelles épuisées quittent leur poste sans faire de bruit. Pas de conflit, pas de mots durs, pas de cris. Juste… une absence. Une absence au travail, une absence à elles-mêmes, une absence de voix dans la structure.
Et souvent, les premiers signaux de rupture passent inaperçus. Parce qu’ils ne ressemblent pas à des “problèmes” au sens classique.Ils ressemblent à des salariées qui ne disent rien, mais encaissent tout.
L’usure professionnelle ne commence pas par un arrêt de travail
En 2022, le taux d’absentéisme moyen dans le secteur de l’aide à domicile était de 10,4 %, selon la DARES.
Dans certaines zones rurales ou fragilisées, ce taux peut grimper jusqu’à 15 %, voire plus en période hivernale ou de tension, ainsi que le taux de turnover estimé à plus de 70% d'après la CFDT la même année.
Mais cet absentéisme n’est que la partie visible de l’iceberg. Il est le point final d’un processus lent, silencieux, souvent invisible.
Avant l’arrêt maladie, on observe :
Des salariées qui ne demandent plus de changements de planning, même s’ils sont incohérents ou épuisants.
D’autres qui enchaînent les interventions sans pause, sans jamais se plaindre.
Ou encore des professionnelles qui ne participent plus aux réunions, ne donnent plus d’avis, baissent les yeux quand on parle de leurs conditions de travail.
Cela ne veut pas dire qu’elles vont bien. Cela veut dire qu’elles sont entrées dans une phase de désengagement passif, un mode de survie où l’objectif est simplement : tenir.
Et pendant ce temps-là, vous, dirigeant·e, vous ne recevez aucun signal clair. Tout semble rouler. Jusqu’au jour où la machine lâche.
" Mais pourquoi ne disent-elles rien ? "
Ce silence est souvent mal interprété.
On l’associe à de la discrétion, à une personnalité réservée, ou même à un contentement.
Or, dans la plupart des cas, il s’agit d’un mécanisme d’autoprotection.
Voici ce que nous apprend la psychologie sociale du travail :
La crainte d’être perçue comme “problématique” : dans un secteur précaire, la peur de “faire des vagues” est très forte.
Le sentiment d’impuissance : si, par le passé, parler n’a servi à rien, mieux vaut se taire.
Le manque d’espaces sécurisés pour s’exprimer : lorsqu’il n’existe aucun cadre prévu pour libérer la parole, elle reste enfermée.
Le poids de la charge mentale et émotionnelle : la priorité devient “tenir bon”, pas “réfléchir à ce qui ne va pas”.
Ajoutons à cela une organisation souvent rigide, des horaires éclatés, et peu de reconnaissance du travail émotionnel fourni…Et nous obtenons des salariées profondément engagées au départ, mais progressivement réduites au silence.
Ce silence coûte cher
À la structure d’abord : car ces salarié·es silencieuses sont souvent celles qui cumulent les heures, la charge mentale, les tensions internes.
Elles deviennent, malgré elles, les piliers qui vacillent.
Ce silence coûte aussi cher à vos bénéficiaires : la qualité de la relation, la constance, l’attention portée à la personnes’effilochent peu à peu.
On ne peut pas bien prendre soin des autres quand on est épuisée, isolée, et invisible.
Et ce silence vous coûte aussi à vous, dirigeant·e :
En incompréhension (vous ne savez plus comment motiver votre équipe).
En turnover (vous perdez des profils que vous pensiez solides).
En charge mentale (vous portez la fatigue collective sans l’avoir vue venir).
Que pouvez-vous faire, concrètement ?
Ce que je vais vous dire peut paraître simple, mais c’est souvent ce qui manque :
👉 il faut rouvrir des espaces de parole collective, structurés, et réellement écoutés.
1. Proposer un cercle de parole professionnel
Pas une réunion d’équipe. Pas un entretien individuel. Un espace encadré, confidentiel, animé par une personne extérieure, où chacune peut dire ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent, sans peur des conséquences.C’est là que les vraies tensions émergent. Mais aussi les solutions, les idées, et les ressources insoupçonnées.
2. Valoriser les besoins d’autonomie, de compétence et de lien
Ce sont les trois piliers de la motivation selon la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 2000).Quand une salariée se sent utile, capable, et appartenant à un collectif, elle tient. Elle s’implique. Elle grandit.Cela ne passe pas uniquement par des augmentations ou des plannings mieux faits, mais aussi par la reconnaissance symbolique, la confiance et l’écoute active.
3. Former autrement
Il est temps de sortir du tout-technique. Former vos salariées à mieux se connaître, à communiquer avec justesse, à identifier leurs limites, c’est les rendre plus professionnelles… mais aussi plus solides.
" L’écoute n’est pas un luxe. C’est un levier stratégique."
Vous êtes nombreux et nombreuses à me dire : « Je ne comprends pas, elle allait bien pourtant. »
Non. Elle ne disait rien.
Mais il n’est jamais trop tard pour changer les choses.
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